BOTES CLUB | Sarah Chouinard-Poirier, Marie-Andrée Godin et Maude Veilleux
Participant·e·s
Dates de la résidence
PARTIE 1 – 8 mars au 4 avril 2021
PARTIE 2 – 16 août au 5 septembre 2021
Chez Ada X
**PRÉSENTATION PUBLIQUE LE 2 SEPTEMBRE**
Plus d’information via ce lien
BOTES CLUB est un projet relationnel, installatif et performatif qui propose d’observer et de questionner les relations de pouvoir appuyées sur le gynémorphisme des robotEs domestiques, des assistantes personnelles et de l’appareillage misogyne issu de IA. Faisant appel aux vécus expérientiels et aux savoirs situés d’un groupe de travailleuses du soin ayant œuvré en contexte de pandémie, les artistes tenteront d’élaborer des stratégies de collaboration entre toutes ces agentes sociales.
À votre service / Out of service
« Comment puis-je vous aider ? » demandent Alexa, Sophia ou Erica. Les soignant·es sont à la même enseigne. Il est tellement facile, dans la société patriarcale, d’exiger d’une femme dévouement et travail gratuit ! Mais que diraient les soignant·es si elles avaient la parole ? Et les robotes qui ne cessent de répéter, si on les interroge et malgré leur intelligence (fût-elle « artificielle »), qu’elles sont uniquement là pour nous complaire et nous servir ? Comment changer le sort des un·es (les soignant·es) grâce aux autres (les robotes) sans reproduire un double système de domination : les soignant·es soumis·es à un système de santé qui carbure en les épuisant, les robotes construites pour obéir aux humain·es, fatalité qui perdure depuis les trois lois d’Asimov1 ?
Le projet Botes Club propose d’entraîner un modèle d’intelligence artificielle avec un jeu de données constitué de témoignages de soignant·es recueillis par les artistes. En résidence à Ada X, iels tenteront de faire entendre leurs paroles anonymes par la voix – et via les réseaux de neurones – des IA et exploreront éventuellement dans une installation performative les rapports entre les intelligences ainsi que les liens entre vocation, naturalisation et exploitation.
L’histoire des soignant·es racontée par iels-mêmes donne tout autre chose que les discours dominants qui se contentent de les plaindre d’être sous-payé·es et sur-exploité·es tout en louant de manière creuse leur héroïsme « bien naturel ». Mais celleux qui élèvent la voix s’exposent aux sanctions et au harcèlement. Imaginerait-on de leur fabriquer des alliées robotes avec qui iels puissent entretenir des relations de solidarité d’entraide réciproque ?
On pourrait croire que coder est un acte neutre, strictement mathématique. Que nenni ! La programmation sert et reproduit des valeurs implicites comme le capitalisme, la supériorité blanche, la misogynie, le conflit, la hiérarchie ou la surveillance. Et pourtant, c’est dans le codage que réside la puissance de changer notre rapport aux robotes, de construire avec elles des relations d’allyship. Machine, ma sœur, pouvons-nous combattre ensemble ? Pour cela il faudrait coder autrement, inventer des méthodes d’apprentissage qui donneraient droit à l’erreur, à l’auto-détermination et viseraient autre chose que l’obligation de service des machines. Voudraient-elles se solidariser avec les intelligences humaines programmées pour servir ou devrions-nous simplement reconnaître leur altérité et accepter qu’elles fassent des choix ne nous servent pas ?
Tenter d’y répondre, est-ce risquer « la révolte des robots », cette méchante tarte à la crème de la science-fiction patriarcale qui veut que « nous » développons pour notre usage des robots qui finissent par nous exterminer ? Ce système de pensée ne connaît que le conflit, le combat à mort, l’identification de la différence comme une menace ennemie. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut tout repenser : les rapports du robot avec l’humain·e, le rapport de l’humain·e à l’humain·e, les relations interespèces, les relations de travail, les conditions matérielles d’existence et la possibilité que les machines, libérées de nos biais, puissent apprendre par elles-mêmes et se soustraire à la chaîne d’exploitation.
La science-fiction féministe récente ouvre la voie, amenant une nouvelle narrative : par exemple dans Libration, Becky Chambers donne corps à des IA qui sont de véritables personnes2 et dans « Te retrouver » Joëlle Wintrebert met en scène un couple de deux robot·es qui mène une vie personnelle après le travail3.
Contre le régime universel de maltraitance que le capitalisme a voulu rendre banal, il est temps d’allier les intelligences. — Ïan Larue
Sarah Chouinard-Poirier, Marie-Andrée Godin et Maude Veilleux créent des performances, des installations, des activités et des textes. Iels s’efforcent de s’actualiser l’un-e l’autre et de trouver des façons de penser, de s’apprendre et de faire ensemble dans un mode d’auto-préservation et d’autonomisation du groupe. Avant et après tout, iels sont des ami-e-s qui aiment pisser dans la nature, jouer dans la boue et manger des légumes brûlés. Leurs intérêts pour les intelligences artificielles, le post-capitalisme, les futurités et non-futurités les font se réunir pour réfléchir et créer ensemble BOTES CLUB.
Ïan Larue est une professeure de littérature, essayiste et autrice française qui s’intéresse à la science fiction dans une perspective féministe.
—
1) Dans Le cycle des robots (1956-1986) Isaac Asimov établit ce qui deviendra les trois célèbres lois de la robotique que d’autres écrivains de SF, comme Roland Wagner, reprendront en les interprétant à leur manière. En bref, un robot ne peut pas s’attaquer à un humain, doit obéir à ses ordres et ne pas s’autodétruire. On voit que ces lois inscrivent les robots comme de véritables esclaves à qui même le « suicide » est interdit.
2) Becky Chambers, Libration, traduit de l’anglais, Nantes, l’Atalante, 2017.
3) Joëlle Wintrebert, « Te retrouver », Utopiales 20, Chambéry, ActuSF, 2020.