Les Larmes Évaporées des Roses de Sable | Rihab Essayh

Participant·e·s

Résidence du 3 septembre 2024 au 1 novembre 2024
Chez Ada X

Comment pouvons-nous conceptualiser un espace communautaire qui favorise la connexion et la guérison dans un avenir plein d’espoir, en particulier lorsque l’on est confronté aux dures réalités du présent ?

Les Larmes Évaporées des Roses de Sable est une exploration poétique du deuil et de la transformation, reflétant les expériences partagées de la diaspora d’Asie du Sud-Ouest et d’Afrique du Nord (SWANA). L’installation vise à créer un espace nourricier pour la communauté, invitant les individus à se connecter à travers leur traumatisme collectif et leur guérison. Les roses de sable, qui symbolisent la beauté née de la désolation, font écho aux histoires entremêlées de la douleur et de la résilience. Pendant sa résidence à Ada X, Rihab Essayh utilisera nos espaces et notre équipement pour créer des poèmes qui serviront de paysage sonore à cette œuvre, qui sera en suite exposée au Visual Arts Center of Clarington à Bowmanville, en Ontario.

Les roses de sable se forment par évaporation de l’eau et de l’humidité, à partir des sédiments des paysages désertiques – le sel, les minéraux et le sable – tous interconnectés par ce processus de transformation. Ce qui commence comme du sable et de la roche stériles évolue en quelque chose de remarquablement beau, tout comme les expériences de la diaspora SWANA. Cette recherche évoque les larmes partagées et les traumatismes collectifs, en soulignant les moments de douleur. Cependant, c’est le processus d’évaporation qui ressort ; il symbolise le catalyseur du changement et le soutien collectif qui nous permet de guérir et de faire notre deuil ensemble, formant ainsi le fondement de la communauté.

Sous un ciel en dégradé
Écrit par Sarah Nesbitt.
Traduit par Louise Campion

« Sais-tu aimer ? Sais-tu prendre soin ? C’est cela, la Civilisation. » ~ Youssef Chahine

La construction de mondes, à la manière de l’Afrofuturisme; l’œuvre d’art totale, de la manière du Gesamtkunstwerk ou de l’installation, sont autant de termes qui décrivent la pratique artistique de Rihab Essayh. Cependant ces termes, bien que facilitant une compréhension en l’absence d’expérience directe, peinent à saisir la dynamique et la profondeur de l’approche d’Essayh. Comment un mot, une théorie ou un précédent de l’histoire de l’art pourrait-il rendre compte de l’urgence de concevoir un autre monde ? La profondeur et l’ampleur du travail entrepris par Essayh et par les artistes travaillant dans cette veine sont peut-être évidentes pour certains, mais peuvent aussi être sous-estimées facilement. Comment tenir compte de la place du travail émotionnel et du développement de communautés, comme matériaux dans les nombreux contextes de l’art contemporain ?

Un des principes fondamentaux de la pratique d’Essayh est un engagement profond envers une compréhension non-binaire selon laquelle la douceur et la puissance peuvent coexister, ou ce que l’artiste Lora Mathis appelle ‘la douceur radicale’. Cette douceur radicale consiste en partie à valoriser la vulnérabilité et à créer des espaces de force collective par le soin. Au cours de cette résidence, Essayh explore avec rigueur la question difficile de « à quoi pourrait  [ressembler] un espace communautaire dans un futur doux lorsque nous faisons face à un présent sombre ? » Dans cette démarche, Essayh développe une œuvre en cours, multiforme et composée de plusieurs éléments, dont le son, la vidéo, et une installation immersive. Assemblée, elle offre aux visiteurs un aperçu de ce qu’elle décrit comme « un monde hypothétique qui valorise le repos et la communion. »

Les éléments matériels et sonores de son lieu de naissance et de sa terre ancestrale, le Maroc, servent de points d’ancrage dans cet exercice de construction de mondes. Cela se manifeste sous la forme d’une sculpture douce modelée d’après l’architecture vernaculaire nord-africaine, sans le dôme central caractéristique, et des teintes réconfortantes en dégradé des cieux nord-africains au coucher du soleil. The evaporated tears of sand roses (“Les larmes évaporées des roses des sables”) évoquent le deuil, la transformation et, plus urgent encore, le désir de vivre en connexion comme antidote ultime à la violence capitaliste extractiviste.

Le dévouement d’Essayh pour l’intersection de la douceur radicale et de l’imagination libératrice a pris une profondeur nouvelle en 2020, durant la pandémie de covid, et devient encore plus urgent et exigeant à l’heure actuelle face aux multiples génocides actifs diffusés en direct, et à une crise climatique accélérée. Alors que la communauté mondiale fait face à l’effondrement des normes perçues ou existantes, le monde de l’art traverse sa propre crise. Les travailleurs culturels perdent leur emploi ou sont forcés dehors, les artistes se retirent d’opportunités nécessaires et prestigieuses, certains ont même publiquement vandalisé ou refusé l’accès à leur travail en signe de protestation. Tandis que de nombreux actes de résistance sont visibles, bruyants, et parfois « violents », d’autres sont plus doux, moins apparents. C’est dans ce contexte douloureux et tumultueux qu’Essayh construit l’un de ses mondes les plus ambitieux à ce jour, enracinée dans un engagement envers la douceur comme puissance, et dans la discipline de l’espoir face à un deuil très réel.

Sarah Nesbitt est écrivaine, travailleuse culturelle, commissaire et parent travaillant entre Le Caire, en Égypte, et Tiohtià

Louise Campion est artiste, écrivaine, travailleuse culturelle, et commissaire travaillant entre Paris, Glasgow, et Tiohtià:ke.

 

 

Photo par Jack McCombe de l’exposition solo de Rihab Essayh au Union Gallery, Kingston, of longing and song birds (2022).